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Mes cinquante années de radio

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En mémoire de Jean-Louis Foulquier

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Il y certainement eu des gueules de bois lundi matin. Je ne savais pas qu’on pouvait prendre une cuite de radio. C’était trop à la fois. Trop de voix, trop de souvenirs, trop de nostalgie des années France Inter. Cinquante années d’un coup et une centaine de présentateurs, certains encore vivants après tout ce temps, la voix un peu altérée, d’autres parlant en quelque sorte de l’au-delà, avec l’enthousiasme de leur jeunesse, grâce à la magie des archives. D’autres enfin, comme Jean-Louis Foulquier se tenant au bord de la mort. Tout un weekend pour réussir à faire revivre une série ininterrompue de moments forts ! En 1963 je venais d’avoir la modulation de fréquences et la Maison de la Radio était née. France Inter était entrée dans mon quotidien avec les autres chaînes qui me sont devenues depuis absolument indispensables…Culture, Musique, toute une pléiade qui avait remplacé de manière expérimentale les sons auxquels je m’étais habitué. Il y avait eu un avant ! En quoi y aurait-il un changement ?

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Lucien Jeunesse. Le jeu des mille francs.

Je suis un enfant de la radio. D’abord parce qu’elle seule existait dans l’environnement de mon enfance et au plus loin que je peux me souvenir, j’entends encore ce qui faisait la joie de la famille, « Quitte ou double » dont les candidats sélectionnés faisaient parler pendant toute une semaine sur les lieux de travail et se poser dans les commerces de proximité – les seuls existants en France dans les années 50 - la question mortelle : est-ce qu’il va franchir le cap de la dixième semaine ?

Le feuilleton « Signé Furax » était un autre moment fort qu’il fallait se précipiter d’aller écouter en rentrant du lycée. Le « Radio crochet » ou « Le club des chansonniers » qu’on pouvait régulièrement aller voir en live au Colombes Palace, puis « Le jeux des mille francs » qui a connu une destinée prodigieuse et tant d’autres créations merveilleuses fondées sur le suspens des situations, étaient des émissions capables de réunir la famille, en partie ou en totalité, à l’écoute de l’une des quatre ou cinq chaînes de radio publiques ou privées disponibles. Radio périphériques venues du Grand-Duché de  Luxembourg ou de Monte-Carlo et bientôt de Paris avec Europe N°1 et radios nationales où, depuis l’après-guerre, l’expérimentation inventait jour après jour ce média merveilleux, lampe d’Aladin frottée chaque jour.

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Jacques Chancel. Radioscopie.

La théorie de Shannon sur la notion de bruit perturbant la transmission de l’information s’appliquait alors totalement, étant donnée l’importance des grésillements parasitaires générés par les voisins qui utilisaient un moulin à café électrique ou un aspirateur devenus les must des arts ménagers. Puis un jour, en effet, la modulation de fréquence est survenue, comme Moïse ouvrant les flots du Nil et mes parents ont accepté, ou plutôt ont trouvé les moyens de m’offrir un poste de ce type à Noël. Comme j’écoutais surtout France II et France IV, ancêtres de France Culture et France Musique et Paris Inter ou France I pour « Le Masque et la plume », ou pour les merveilleuse leçons de Brigitte et Jean Massin sur les opéras de Mozart et pour les retransmissions théâtrales de la Comédie Française, je me suis retrouvé un peu seul, mes parents ayant d’autres préoccupations et d’autres centres d’intérêt et surtout, ne disposant plus des mêmes temps de loisirs que moi. L’écoute familiale a éclaté.

L'arrivée de la modulation de fréquence a constitué une révolution aussi importante que celle du transistor quelques années plus tard. Elles ont été toutes deux essentielles à la conquête d’une autonomie totale dont vont s’emparer les générations du numérique, avec le téléphone portable devenu radio immédiate et le podcast, offrant des archives décentralisées. La radio à la demande quand toute une génération ne semble plus demander que de la consommation musicale toute prête.

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Ces cinquante années de France Inter résonnaient ce weekend d'abord comme les retrouvailles de toute une génération, la mienne, celle des baby-boomers. Vraiment ? Seulement ?

En quoi, en 1963 y eut-il un changement ? A écouter les souvenirs des uns et des autres, c’est en effet d'abord une véritable question de génération. Un changement de comportement, de relation au savoir et à la connaissance dont les étapes ont en quelque sorte crées des communautés successives et complémentaires ! La communauté « Pop Club », la communauté « Radioscopie », comme il y avait eu la communauté « Le Club des poètes », comme il y aurait la communauté « Pollen » et la communauté « L’oreille en coin ». Mais le grand changement, c’est en fait l’ouverture de la Maison de la Radio elle-même. Architecture nouvelle, symbole fort, invention fonctionnelle, correspondant parfaitement à l’émergence de nouveaux désirs. Tout à la fois, en 1963. L’année du « Mépris » et des « Carabiniers » de Jean-Luc Godard, de « Hitler connaît pas » de Bertrand Blier, du « Feu follet » de Louis Malle, ou encore de « Huit et demi » de Federico Fellini. Quelle chance nous avons eue, cette année-là ! L’année du baccalauréat, quand même !

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Mais j’ai certainement eu la chance supplémentaire d’avoir un copain dont le père était ingénieur dans cette maison ronde. J’ai connu, dans les mois qui ont suivi cette ouverture,l'époque où il n’était pas encore besoin de badges. On pouvait seulement dire au vigile : « Nous allons voir Raymond Marcillac » et tous les étages étaient ouverts, y compris le toit. De studio en studio, des domaines merveilleux s’ouvraient : Lily Laskine courbée sur sa harpe, ou Jean Nohain faisant entrer des enfants sur un plateau encombré d’instruments de musique.

Mais j’ai eu la chance encore plus extraordinaire de revenir dans la maison ronde pour explorer les « Paroles de fil » dans les « Chemins de la connaissance » avec Marie-Hélène Fraïssé en 1978, d’évoquer l’exposition « Fibres art » avec Pierre Descargues en 1985, de présenter la place des nouvelles technologies et de la palette graphique pour l’industrie de la mode avec Marie-Odile Monchicourt et Chiara Boeri en 1986 ou d’inviter les visiteurs à se rendre dans l’exposition « La Mode, une Industrie de pointe » avec Jacques Pradel, après le journal de 20H, toujours en 1986. A partir de 1993, ce sont les itinéraires et le tourisme culturel qui ont fait un détour dans les couloirs et les studios de la Maison de la Radio grâce, de nouveau, à Marie-Hélène Fraïssé, puis à Pascale Lismonde et encore plus récemment à Brice Couturier.

Mais au-delà de ces satisfactions d’un instant, parfois d’une année, ce sont les voix de France Inter, de France Culture, de France Musique qui peuplent une espèce de rêve éveillé qui m’empêche de m’endormir sans elles, des voix qui me réveillent au milieu de la nuit et qui me rappellent à l’ordre si je les oublie pour quelques heures.

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Jean Guidoni et Juliette

Je termine ce post au moment même où j’apprends la disparition de l’une de ces voix ; une voix qui accueillait le monde des poètes magnifiques, un peu comme celle de José Arthur du temps du pop-club, mais avec l’accent de celui qui vient de poser sa cigarette et ne va pas tarder à se retourner vers son verre de whisky. Une voix qui ne semblait jamais dormir et un ton où l’on devinait qu’étaient en train de s’organiser en permanence dans sa tête les francofolies suivantes, la sortie d’un nouveau chanteur, la conquête de nouveaux espaces pour faire la fête en confrontant les générations, le vieux Léo Ferré avec le jeune Alain Souchon, la vieille Juliette Gréco avec la jeune Barbara...et combien d'autres. La Belgique relayant les belles heures de La Rochelle en dialoguant avec le Québec. J’en ai eu la preuve vivante en juillet dernier à Spa !

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Camille et Jacques Higelin

Depuis ce temps, au moins deux autres fournées de jeunes sont arrivées pour reprendre, tordre, célébrer un certain esprit de la chanson de langue française. Un esprit qui s’est transmis inlassablement, pendant des dizaines d’années grâce à Jean-Louis Foulquier. Un esprit qui inspirait dimanche soir la fête inter-générations de la Gaîté Lyrique qui a fait le pont de la nuit en réunissant des couples improbables, trop probables et merveilleux. Un grand bonheur trop court à réécouter les jours de blues !

Je resterai, j’en suis certain, un enfant de la radio.

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Cali et Bernard Lavilliers

 


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